Voyage au cœur des projets, épisode 8

Jeudi 23 décembre 2021 - 13:59
Voyage au cœur des projets, épisode 8 : Concilier désamiantage et photovoltaïque, une synergie en expérimentation dans les Baronnies Provençales
La conciliation du désamiantage et du photovoltaïque est un sujet d’actualité en Auvergne-Rhône-Alpes, avec la publication début décembre d’un appel à projet régional dédié. Une actualité qui fait écho du côté des Baronnies provençales, où le Parc naturel régional et les Centrales Villageoises locales travaillent sur le sujet depuis 3 ans. Reportage.

Le modèle des Centrales Villageoises est désormais fortement ancré au sein du Parc naturel régional des Baronnies provençales : 4 sociétés citoyennes se sont structurées, des Centrales Villageoises « pilotes » Rosanaises lancées il y a bientôt 10 ans, aux toutes jeunes Centrales Villageoises Eygues Energies. Les Centrales Villageoises Sud Baronnies et de la Lance complètent ce panel de sociétés citoyennes à l’origine d’une trentaine d’installations photovoltaïques en service sur le territoire du Parc.

Durant leurs travaux de prospection de toitures, ces collectifs ont pu faire ce constat : de nombreuses toitures, pourtant vastes et bien exposées, sont inexploitables pour le photovoltaïque car leur couverture est constituée de plaques de fibrociment en amiante.
A l’échelle du Parc, de nombreuses toitures sont concernées : « 1200 toitures sont amiantées et 800 parmi elles pourraient recevoir une installation photovoltaïque » explique Audrey Matt, chargée de mission innovation et transition énergétique au PNR des Baronnies provençales. Soit un potentiel à exploiter de 18 MWc, d’après une mission de stage menée par le Parc et le CEDER* en 2018.

Si les toitures ne peuvent en l’état pas accueillir de photovoltaïque, il y a un vrai enjeu à anticiper la question, comme l’explique Stéphane Gillet, président des Centrales Villageoises Sud Baronnies : « la fin de vie des plaques amiantées approche. Après une quarantaine d’années, leurs caractéristiques mécaniques se dégradent. Les propriétaires des bâtiments devront donc, quoi qu’il arrive, changer leur couverture amiantée dans les années qui viennent. »
D’où l’idée de concilier ces opérations de désamiantage avec la pose des panneaux photovoltaïques, le volet « photovoltaïque » pouvant participer au financement du volet « désamiantage ». Une synergie qui apporte par ailleurs une réponse à l’enjeu de santé publique que constitue l’amiante.

*Centre pour l’environnement et le développement des énergies renouvelables

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Centrale photovoltaïque sur la salle des fêtes de Buis-les-Baronnies (crédit : Centrales Villageoises Sud Baronnies)

 

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Installations photovoltaïques à Rosans (crédit : Centrales Villageoises Rosanaises)

 

Une étude impulsée par les acteurs locaux

Sous l’impulsion des trois Centrales Villageoises locales*, le PNR des Baronnies provençales décide en 2019 de flécher des financements issus de la Région Auvergne-Rhône-Alpes vers un programme d’étude sur le sujet. « Les parcs naturels régionaux ont une vocation à faire de l’innovation, porter des projets d’expérimentation. Ce projet rentrait tout à fait dans cet esprit. », raconte Audrey Matt.
Christelle Ruysschaert, vice-présidente chargée de l’aménagement et de l’énergie au PNR des Baronnies provençales, y voit également une forte complémentarité avec les travaux des collectivités locales : « cette démarche rentrait dans un cadre plus global, celui des obligations des collectivités sur les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), et donc des objectifs locaux de développement du photovoltaïque ».

Deux grands axes structurent le programme d’étude : un axe technico-économique, et un axe juridique. L’objectif étant de comprendre le cadre légal des procédés de désamiantage, les contraintes techniques, et d’imaginer des montages contractuels permettant aux Centrales Villageoises d’intervenir dans le désamiantage et la pose de panneaux photovoltaïque sur des bâtiments appartenant à des tiers.
Pour accompagner cette étude, un comité de pilotage diversifié est mis en place : outre les Centrales Villageoises locales et le Parc naturel régional, la sous-préfecture de Nyons, la DREAL, la chambre d'agriculture de la Drôme et le CEDER sont impliqués. « L’intérêt était d’allier dans le tour de table des acteurs opérationnels et décisionnels du territoire » explique Stéphane Gillet.

* Centrales Villageoises Rosanaises, de la Lance et Sud Baronnies, les Centrales Villageoises Eygues Energies n’étaient à l’époque pas encore créées.

 

Des solutions techniques et juridiques identifiées

8 toitures sont rapidement identifiées en tant que « projets pilotes », grâce aux conclusions du stage mené en 2018. Les diagnostics sur site sont menés par le cabinet d’architecte local Arch’eco, faisant appel à un bureau d’étude photovoltaïque (Enersun) et plusieurs entreprises spécialisées dans le désamiantage. Deux d’entre elles sont retenues, dans une démarche de « pré-partenariat », pour aller plus loin dans la faisabilité des projets.

bâtiment amianté
Bâtiment amianté à l'étude (crédit : Dominique Farhi, Arch'éco)
visite site
Visite sur site (crédit : Grégoire Aguettant, Arch'éco)

Du côté des Centrales Villageoises et du Parc, ces échanges permettent de monter en compétence sur le sujet du désamiantage. « Nous avons pris conscience de la complexité réglementaire liée au désamiantage, se rappelle Stéphane Gillet. Mais, petit à petit, on a compris le processus : pour commencer, il faut que le maitre d’ouvrage demande un repérage préalable à un diagnostiqueur certifié. Puis l’entreprise qui fait la dépose des plaques doit être agréée, et suivre un processus réglementé, avec des mesures régulières de concentration ambiante des fibres d’amiante. Enfin la gestion des déchets est évidemment très réglementée, avec une traçabilité des déchets dans leur processus de traitement et d’élimination. Pour simplifier les choses, nous avons fait le choix de travailler avec un acteur capable de s’occuper de tout le volet désamiantage, de la dépose des plaques au traitement des déchets. »

L’étude permet également de revenir sur des idées reçues sur le désamiantage : « initialement, nous pensions que c’était le traitement des déchets qui était onéreux.

intérieur bâtiment amianté
Intérieur d'un bâtiment agricole à l'étude (crédit : Dominique Farhi, Arch'éco)

En fait, le coût principal est la dépose des plaques, et elle est fortement contrainte par les conditions d’accès à la toiture. Dans l’idéal, les entreprises préfèrent dégager les plaques par en dessous, en les passant à l’intérieur du bâtiment. En fonction des caractéristiques du bâtiment et de l’activité en place à l’intérieur, ce n’est pas toujours possible et cela influe largement sur le coût de l’opération » explique Stéphane Gillet.

Une fois l’opération de désamiantage effectuée, le remplacement de la toiture en fibrociments par un bac acier et des modules photovoltaïques implique une surcharge pour la charpente : « le fibrociment amianté pèse 17 kg/m², le bac acier 8 kg/m² et les modules photovoltaïques 13 kg/m². Donc en remplaçant du fibrociment par le bac acier et le photovoltaïque, on augmente la charge de 4 kg/m², voire plus si on prévoit une isolation du bac acier. Le renforcement de la structure est donc souvent nécessaire. Il est cependant possible de l’éviter en implantant les modules photovoltaïques en colonnes écartées : on reste ainsi à charge constante par rapport à la situation initiale » détaille Stéphane Gillet.

Côté juridique, plusieurs montages sont envisagés avec le cabinet Green Law Avocats pour permettre aux Centrales Villageoises de prendre à bail la toiture pour l’installation photovoltaïque, permettant ainsi de financer une partie du désamiantage. Le montage privilégié consiste à ce que ce soit le propriétaire du bâtiment qui finance et réalise les opérations de désamiantage et la pose d’une nouvelle couverture avec l’aide des bénévoles des Centrales Villageoises à partir des résultats du programme d’études. Une promesse de bail est signée entre le propriétaire et les Centrales Villageoises avant l’opération de désamiantage, garantissant au propriétaire que les Centrales Villageoises prendront à bail la toiture désamiantée pour y installer la centrale photovoltaïque.

schéma juridique
Schéma juridique retenu pour la mise en place des opérations de désamiantage et de solarisation des toitures

 

Un appel à projet régional pour concrétiser l’étude… et commencer à essaimer

Reste désormais à convaincre les propriétaires des bâtiments de se lancer dans le processus. Pour cela, le nouvel appel à projet régional « Financer des projets de désamiantages de toitures en cas de solarisation », publié par la Région AURA début décembre 2021, prend tout son sens en venant compléter le montage envisagé par les Centrales Villageoises. L’aide régionale permet en effet de financer les coûts de désamiantage à hauteur de 50% du coût, dans la limite de 40€/m² de toiture désamiantée (50€/m² en cas d’isolation de toiture) et d’une enveloppe globale de 250 000 €.

« Ces ordres de grandeurs de coûts sont cohérents avec ce que l’on a constaté dans l’étude, confirme Stéphane Gillet. Cette aide permettra de financer 50% du désamiantage du bâtiment, et les loyers versés par les Centrales Villageoises pour l’installation photovoltaïque correspondent sur les 20 ans jusqu’au 30 à 50% du coût du désamiantage ». De quoi inciter les propriétaires de bâtiments amiantés à solariser leur toiture !
« Ce type d’expérimentation est intéressant car si les porteurs de projets s’en saisissent, cela peut faire boule de neige et aller beaucoup plus loin, au-delà du niveau régional. » explique Christelle Ruysschaert, persuadée que de nombreux acteurs peuvent se positionner sur la question du désamiantage et la solarisation des toitures.

 

Une première expérimentation pour en cacher une autre ?

Du côté des Baronnies, la phase d’étude des 8 toitures amiantées devait introduire une phase de réalisation de 4 ou 5 projets démonstrateurs. « Malheureusement, nous sommes aujourd’hui bloqués sur le passage à l’acte à cause des coûts de raccordement. Seule une toiture sur les 8 initiales est économiquement réalisable », se désole Audrey Matt.

En cause, un réseau basse tension qui n’est pas dimensionné pour injecter de grandes puissances de production, et une méthodologie de renforcement du réseau au « coup par coup », à chaque demande de branchement. « On aimerait avoir la même démarche que ce qu’il se fait pour la haute-tension », confie Christelle Ruysschaert, à savoir une planification des aménagements concertée à l’échelle régionale, et des coûts mutualisés entre les producteurs.  L’élue poursuit : « La question des coûts de branchement est cruciale, en mesure de retarder le projet alors que tout le reste est ficelé. Il y a encore des difficultés à régler, et c’est un travail que le Parc mène avec les Centrales Villageoises, les services de l’Etat, ENEDIS et le SDED*. Nous ferons notre possible pour trouver des solutions concrètes, expérimentales s’il le faut ! »

*Syndicat d’énergie de la Drôme

 

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Source
Association des Centrales Villageoises